SOUS LES ETOILES DU MONDE
                                                  ou les voyages de Françoise et Jacky sur la planète bleue

 
 
Matane, ville moyenne nous autorise une halte sympa sur les rives du fleuve en arrière de surfaces commerciales qui vont nous assurer une couverture wifi efficace. Courrier électronique et coups de téléphone par internet seront à l’ordre du jour. Accordons nous néanmoins une visite des quais de cette ancienne cité portuaire de la grande époque de la morue et des fourrures. Un barrage est équipé d’une « échelle à saumons » abritée et vitrée qui permet d’observer la remontée des poissons à leur lieux d’origine afin d’assurer la reproduction de l’espèce. Intéressant certes mais toujours et encore quelques dollars à débourser. Nous en aurons pour notre argent dirons nous, quand un saumon de plusieurs kilos va passer devant nous. Un homme explique que les poissons sont ainsi comptés journellement afin de surveiller le bon équilibre du milieu. A noter que sur plusieurs centaines de kilomètres, chaque affluent du St Laurent est une nurserie à saumons.
Les jours suivants nous autoriserons quelques belles escales le long du fleuve assorties de jolis couchers de soleil.
Un petit crochet dans l’intérieur d’une centaine de kilomètres nous amène à nouveau en moyenne montagne au parc national de Gaspésie. Mêmes règles, dormir impérativement dans les campings et respecter les consignes. Au final, un bel emplacement nous est attribué. Y entrer Franky relève un peu de la précision horlogère. Chaque arbre sera négocié au mieux et tout se passera bien. En arrière, une table de pic-nic, un emplacement barbecue invite aux grillades. La tente en moustiquaire indispensable en ces lieux encore jamais expérimentée est vite installée. Reste le feu…
…Interdiction absolue de prélever du bois en forêt…
…Normal, mais y compris le bois mort ! Le sol en est jonché de partout, à dix mètres en arrière, la forêt est inextricable mais…
…pas touche ! Ce n’est pas la première fois que nous observions les campeurs faire leur feu avec de belles buches de bois sec achetées en sachet plastic. Un comble quand on sillonne un pays aussi immense couvert à 80% de forêt. Nous avons donc pris beaucoup sur nous pour nous 
rendre à l’accueil et acheter pour sept dollars un paquet de belles buches de bouleau calibrées assorti d’un paquet d’allume feu. Eh oui, pas touche aux brindilles pour allumer c’est un délit !
Au menu, saucisses grillées et salade de pommes de terre…
… Imagine le bois du feu coûte plus cher que les saucisses !
J’exagère, le sac nous fera tout de même trois barbecues et les saucisses quelques bouchées.
 
           


                     Barbecue, tente anti moustiques et sept dollars de bois !
A ce tarif, le lendemain, les bûches partiellement consumées sont promptement récupérées. En après midi, une balade aux alentours nous conduit en bord de route forestière sans grand intérêt manière de se dégourdir les gambettes. Feuillu dense et demi-marécage, peu de fleurs…
…je stoppe net…
…retient instinctivement ma voisine…
…Là, à trois mètres en contrebas, sous les branchages, un remous vigoureux dans l’eau stagnante m’interpelle, vite cadrer, clic, clac rapide…
…Un superbe orignal, surpris à brouter quelques plantes semi-aquatiques. Déjà un beau spécimen. Il va se retourner sans hâte pour s’enfoncer dans la pénombre du sous bois. Juste le temps de déclencher trois fois à la volée pour des images douteuses. Françoise a la chance d’appuyer deux fois avec un meilleur cadrage et c’est tant mieux.
Sauf que…
… A décharger dans l’ordinateur, il nous reste une micro séquence vidéo de trois demi-secondes. Because, son appareil, par inadvertance en fonction vidéo, un premier déclic enclenche, le second arrête ! Résultat, au lieu de deux photos successives, tu te retrouves avec un film ridicule.
Le lendemain une petite rando est au programme de difficulté et dénivelé moyen. Le casse croute dans le sac, nous sillonnons à travers bois et cascades. Des buissons d’azalées en fleurs s’étalent sous nos yeux. Arrivé au belvédère prometteur, la vue s’étend sans fin sur la forêt, dommage qu’un énorme complexe hôtelier juste en contre bas ne gâche le spectacle. Contrariés, pas de photos ! Par contre un banc permet de bien s’installer pour le casse croute. Une petite équipe de joyeux lurons nous tiendra compagnie et feront causette. Nous parlons même navigation, ce sont aussi des voileux. Au retour, repas du soir conclus rapidement, une conférence sur les caribous est prévue au centre d’information du parc à deux kilomètres d’ici. Désireux d’aller observer ces animaux le lendemain au mont Jacques Cartier situé dans la plus haute partie du parc, nous nous rendons au rendez vous prévu vers dix neuf heures trente. Nous écouterons avec attention et le naturaliste nous libère une heure plus tard. Seulement, la nuit est tombée et deux petits kilomètres à pied en pleine forêt canadienne par nuit noire, qui plus est, dans un sanctuaire de la faune sauvage, avec juste une lampe torche, crois-moi tu bas tous tes records de marche rapide !
Le lendemain, mon équipière souffre de son genou, la rando un peu escarpé de la veille se fait payer au comptant. Partant du principe que le caribou n’est ni plus ni moins que le renne européen que nous avons vu par dizaines en Laponie en 2001, nous déclarons forfait pour le mont Jacques Cartier et ses hôtes pour faire route et progresser un peu.  
Approchant de la réserve faunique de Matane, dépliants et guides vantent la présence de nombreux orignaux en arrière pays dans les contreforts du massif des Appalaches…
… On veut voir et ramener des photos !
Renseignement pris, le meilleur guide du pays semble t il (ce sera vrai) se propose de nous y conduire en 4X4. Le coût non négligeable nous fait hésiter un peu, mais finalement, rendez vous est pris pour quatorze heures. Les lieux d’observations étant assez éloignés, passé l’approche, les orignaux se montrent discrets. Deux sites déserts nous laissent perplexes. Francis, est tendu, il veut nous satisfaire, il explique, raconte, parle de ces animaux avec une passion rare. De piste forestières en chemins défoncés, nous passons de sous bois en zones déboisées sans le moindre indice. Demi-tour, Francis se dirige vers des lacs souvent fréquentés par ce gibier. Stationnés sous le vent du lieu, l’odorat des bêtes est toujours très développé, l’approche doit être discrète, il faut toujours veiller à éviter l’effet de surprise. On ne claque pas les portes et on ne communique plus que par gestes. Francis en tête, nous suivons silencieusement. D’un geste…
…Stop …
…Là bas…
…à cent mètres, à demi immergé, une masse foncée se distingue en arrière de très hautes herbes. Occupé à brouter ses plantes d’eaux favorites, il aurait put passer inaperçu pour les néophytes que nous sommes. Dés lors, jumelles, trépied et zooms en faction, il suffit d’un peu de patience pour que l’animal redresse la tête et lui tirer le portait. A distance, un couple en canoë est occupé à pêcher sans qu’il s’en émeuve. C’est déjà un beau spécimen adulte. Nous l’observerons un moment quand, à l’opposé du petit lac, un autre adulte apparaît tout aussi imposant. Rappelons qu’en taille, c’est minimum l’équivalent du cheval, donc respectable et impressionnant. Il a fière allure l’animal. L’environnement est conforme aux images sur papier glacé des beaux livres, c’est enivrant…
… quelques clichés…
 … laissons-les en paix.
  
       Sur la piste des orignaux
 
Lac suivant, l’orignal est absent par contre, l’œil avisé de Francis nous fait découvrir à la cime d’un grand arbre un magnifique aigle pêcheur. En fait, un balbuzard pêcheur. Ce rapace à lui aussi bien fière allure, son envergure peut atteindre un mètre quatre vingt ; ne manquons pas d’en faire quelques belles images. Le temps passant, Francis décide de monter un peu en altitude en empruntant un dédale incroyable d’anciennes pistes forestières plus ou moins abandonnées, envahies d’arbrisseaux parfois plus hauts que le 4X4. L’érosion à œuvré sérieusement sur un passage étroit, la majeure partie de la piste à été emportée à la dernière fonte des neiges. Le guide présente le véhicule avec précaution, la carrosserie débordant du passage, avant de s’engager, il descend voir si les roues sont bien alignées sur ce qui reste de pierraille, puis première et vite nous voici passés ! A postériori, il nous contera que ses précédents clients ont souhaité descendre de la voiture avant le passage ! Un nouveau lieu d’observation est proche. Un orignal est présent dissimulé dans le feuillu. Surpris et apeuré, il détale sur le champ. Arrivé à flan de montagne, nous stoppons et Francis nous propose un pic-nic sur cet espace dégagé permettant durant ce temps une observation des lieux. Table, chaises, réchaud et glacière sortent du coffre .Il va ainsi nous cuisiner de la viande d’orignal de sa chasse avec une sauce au vin et quelques jeunes légumes qui vont réveiller nos papilles d’européens. Fin de repas, ciel triste et quelques gouttes nous invitent à ranger et poursuivre nos recherches. Début de soirée, le jour s’effrite, c’est le meilleur moment dit le guide ; mais il pleut, dés lors, les animaux vont rester à l’abri dans la forêt, difficile pour nous de les apercevoir. La pluie ne dure pas, Francis prévoit que si la pluie s’arrête, ils vont sortir à découvert car le goutte à goutte des arbres va les faire bouger. Roulant au pas, en lisière éloignée, une bête est aperçue. Aux jumelles, c’est une grande femelle et son petit à la robe claire. Quelle belle image que voici encore. Peu de temps après…

                          
                          Un jeune mâle aux bois bien formés
…Stop immédiat, un jeune mâle aux bois déjà bien formés est là à cinquante mètres, en travers de la piste. Pas un geste, il nous observe, s’inquiète mais Francis l’appelle en imitant le râle des femelles en chaleur ! A plusieurs reprises il nous fera le coup, l’animal est de ce fait remis en confiance et va jusqu’à s’approcher un peu. C’est vraiment spectaculaire. A un moment donné, son odorat va faire la différence et là seulement, il va disparaître. Plus tard, à la tombée du jour, une dizaine d’observations auront à nouveau lieu jusqu’à un jeune qui pour s’enfuir, trouvera que la piste lui convient. Francis se garde bien d’essayer de le dépasser de peur de le blesser, nous allons le suivre à petite vitesse ainsi durant un bien long moment.
Le retour se fait à vingt deux heures trente, un peu meurtri par les heures de trépidations en 4x4 mais ô combien satisfait de cette journée.
Quelques petites étapes gentilles vont nous mener vers une des extrémités de la Gaspésie, le cap Gaspé, éperon rocheux se dressant fièrement au dessus de l’océan. A nouveau en territoire protégé, c’est aussi un parc national. Les falaises de l’endroit sont un sanctuaire pour les oiseaux marins et certaines étoiles de mer. Celles-ci, par définition, nécessitant une observation en plongée nous « zapperons » rapport aux quatorze petits degrés Celsius de l’eau !
Roulant au pas sur la petite route d’accès au parc, à nouveau, les deux pieds sur le frein 

   
 Tranquille, sur le bas coté à s’empiffrer les fraises des bois
 
A cinq mètres sur le bas coté, parmi fougères et fraises des bois, un ours noir est là, à brouter marguerites et pissenlits ! Pas du tout impressionné par Franky, tête levée, il replonge le museau dans la verdure. Presqu’un ourson, mignon mais pas vraiment une peluche ! Un jeune d’un an environ.  Nous gardant bien de sortir du véhicule, nous aurons tout loisir de filmer et photographier l’animal. Plusieurs voitures vont s’arrêter en face, observer et photographier la bête, circulation bloquée, jusqu’au moment où l’individu décidera d’un coup de traverser devant nous pour aller gambader ailleurs.
Belle entrée en matière pour le parc Forillon. Sans perdre un instant, en rive nord, nous empruntons le sentier menant au belvédère installé sur un éperon rocheux permettant ainsi une très belle vue sur les colonies de mouettes tridactyles, fou de bassan, guillemots et autres petits pingouins nichant dans les failles. Pic nic sur place, nous en ramenons de belles images. L’après midi, belle rando d’une paire d’heures sur la rive sud du cap, soleil radieux, bronzing sur la plage des Amérindiens. Trépied et appareil photos en faction, phoques et baleines jouent à cache-cache parfois à courte distance mais souvent assez loin.
                                   
                                  Petit pingouin dans la falaise          Azalées sauvages
Entrés en rive nord du parc, nous quittons les lieux assez tôt le lendemain pour mieux nous installer et  explorer la rive sud. Sur les cartes, une ballade pédestre intéressante est tracée jusqu’au cap Gaspé. Casse-croute, sifflets, clochettes et bombes à ours dans les sacs, on s’engage dans le sentier balisé. A la fois en bord de mer et en sous bois sombre, un peu seuls sur le parcours, nous actionnons activement les fameux sifflets et clochettes à ours ; hier matin nous avons bien eu l’assurance de sa présence ici. A quinze minutes de marche, à un détour pierreux, déposé là au milieu du passage un beau crottin d’ours tout frais !
…Conseil de guerre…
…Il est décidé de ne pas poursuivre par cette voie, trop dangereux. Le sous bois est dense, tu n’y vois pas à vingt mètres, le sentier pierreux est étroit et sinueux donc pas de visibilité et pas de possibilité de retrait aisé. A petite distance, une piste à VTT utilisée aussi par les pick up des gardes menait aussi au cap. Plus claire et dégagée, nous reprenons notre progression par cette voie. Devant, derrière, d’autres randonneurs sont présents. Cette piste va nous offrir des vues magnifiques sur la baie permettant à nouveau d’observer à plusieurs reprises phoques rigolos et baleines furtives. Une heure avant l’arrivée au cap, cent mètres en contre bas, une ancienne maison en bois présente un bel espace pour la pause casse croute. Un petit sentier tracé dans les hautes herbes y mène. A peine vingt mètres, « rebelote », un gros crottin frais ! Vue dégagée, certes, mais les herbes sont très hautes, des buissons éparses et plusieurs bouquets d’arbres ça et là sont autant de facteurs que l’ours ou pire, des ours, peuvent apparaître de gauche de droite, devant, derrière va t en savoir…
…Les sandwiches attendront. Nous reprenons notre piste à VTT un moment et croisons une jeune femme américaine qui essaie de nous indiquer qu’au cap, un ours est présent et divague.
__ Ok merci beaucoup.
Sur nos gardes, plusieurs randonneurs sont en avant, trois autres sont en arrière. Il est reconnu qu’en nombre face à ces animaux, c’est lui qui recule. Nous poursuivons donc notre chemin. Encore une centaine de mètres le pick up des gardes surgit de l’arrière et nous avise qu’ils vont intervenir au cap rapport à cet ours pas facile paraît il et qu’il serait mieux de redescendre. Ils connaissent bien le spécimen qui manifesterait de temps à autres une certaine agressivité, trop souvent déranger dans ce qui est son territoire et non le nôtre.
Ok, compris, nous n’insistons pas.
Bientôt, un banc accueillant pour le casse croute se présente et nous observons tous les randonneurs faire route inverse suite aux conseils des guides. Il est vite réfléchi que si tous s’en vont et que l’on s’installe ici pour manger un morceau, on risque de se retrouver bien seul. Qui plus est, si les guides traquent le bestiau, celui-ci, de ce fait, fort contrarié, risque de ne pas nous manifester beaucoup de sympathie s’il lui vient à l’esprit de dévaler par ici!
Une barre de céréales et en route…
… Dommage pour la vue au cap mais en l’espèce, nous conviendrons qu’il y a cas de force majeure. Content tout de même de cette belle balade aux panoramas grandioses. Peu escarpée la piste permettait à mon équipière…
…Nom de D…          
…halte…
…sans mot dire, je saisis Françoise par la manche d’un coup, sans bruit…
…Là, à cinq mètres devant nous, sur le bas coté une masse velue …
… Un ours noir encore…
… En rando, tu fais moins le malin que derrière ton pare brise d’autobus… !
…Pas de panique, rester calme et essayer d’appliquer les consignes…
…la bête semble fort occupée à fouiller le sol, elle s’est certainement rendu compte de notre présence. Laissons donc faire un moment. Quelques clichés tout de même tout en surveillant les réactions de l’animal au travers du viseur, celle-ci reste calme et bien occupée, je n’attendrai pas quelle pose, peu importe. Françoise à préparé sa bombe sans paniquer, nous avons reculé de quelques pas, tout devrait bien se passer mais pour l’heure, seuls, hors de question de forcer le passage. Une ou deux bien longues minutes passent, quatre personnes arrivent en arrière, quelques signes bien compris, nous voilà regroupés à six personnes, Comme déjà dit, il est reconnu que l’ours noir n’attaque jamais un groupe. Les rares accidents connus ont toujours eut lieux sur des personnes isolées. Progressivement, nous manifestons notre présence en parlant à voix haute, Françoise joue du sifflet comme jamais, l’ours va se relever et faire quelques pas dans le talus pour observer passer ces intrus. Nous le guetterons bien au passage car il va rester là, à dix mètres sous un bosquet ses gros yeux brillent au milieu de sa « tête d’ours »…
…impressionnant et souvenir assuré.
      
A cinq mètres devant, belle image, mais… chaud tout de même !
Le casse croute aura finalement lieu sur une table de pic-nic proche du parking dominant la mer avec vue sur les baleines de passage.
A petite distance sur la route côtière, une ancienne boutique très XIXème et bien conservée est ouverte au public au titre de musée. L’intérieur est reconstitué dans le moindre détail, matériels, matériaux et produits d’époque sont alignés sur les rayonnages. La conservatrice est vêtue aussi XIXème et t’explique la vie de ces pionniers, pêcheurs de morues et trappeurs commerçant les fourrures. Sont exposés aussi tenues de pêcheur, cordages de chanvre, caisses de clous galvanisés, à remarquer le seul médicament disponible à l’époque l’« Huile Eclectrique »du docteur Thomas. A lire l’emballage, bon pour tout ce qui peut t’arriver ainsi qu’aux chevaux ! Au sous sol, en stock, barriques et caisses bois de toutes natures mais aussi le coffre fort emmuré des propriétaires.
Jours suivants, reprenant la route vers le sud, c’est sous une pluie battante ininterrompue assortie de bancs de brouillard que nous pestons grave. Quelques déchirures nous laissant apparaître une côte rocheuse assez fabuleuse. A l’escale, un œil sur la carte générale nous situe quasiment en face de Terre Neuve, ne nous étonnons plus !
A plusieurs reprises, on nous avait vanté le cap Percé et l’île de Bonaventure notamment un photographe animalier rencontré à Forillon quelques jours plus tôt. Classé parc national l’île abriterait la plus grande colonie mondiale de fous de bassan.
Chemin faisant, nous devinons au travers du rideau pluvieux les derniers soubresauts verdoyants des Appalaches qui viennent se jeter à la mer créant ainsi un relief forestier marqué assorti de roches rouges façon Esterel du plus bel effet. Dommage, surtout pour les derniers kilomètres en côtiers particulièrement escarpés. Plusieurs descentes rapides affichent fièrement dix sept pour cent de dénivelé! Avec les douze tonnes de Franky, frein moteur efficace et prudence extrême de mise, tout se passera bien.

   
  Percé la bien nommée.
Au comité d’accueil donc, pluie dense et brouillard londonien à Percé. Malgré cette météo exécrable, la bourgade est très animée, la circulation dense comme jamais, motels, restos et marchands du temple se chevauchent, nous comprenons vite qu’il sera difficile de s’installer gratis sans cracher au bassinet d’un camping. Après les immenses territoires inhabités du nord, cette densité humaine subite choque un peu nous laissant perplexe. Ces événements nous conduisent au « camping du phare » autant dire face mer…
…Sauf que, notre référence de chaque jour, l’objectif premier de tout baroudeur sur la planète est absent…
…Plus de repères…
…Plus de ciel, plus de mer, même la Terre sous tes pieds paraît disparaître, le grand astre du jour aussi…
…L’horizon ???
…Ici, pas d’horizon, c’est « jour blanc »…
…voir blanc gris…
…Un ange à tout peint d’un délicat gris perle remettant l’homme à sa petitesse.
Blotti dans notre cocon, les instants suivants s’allument permettant une petite balade au village sous un parapluie pour deux. Une couverture wifi au camping permet de relever courriers divers et donner des nouvelles en France.
Au matin du lendemain, horizon de retour, le ciel nous invite à répondre à l’appel de l’île de Bonaventure et ses fous de bassan. Un navire traversier quitte le quai, met d’abord le cap sur l’îlot de Percé qui porte bien son nom. Encore une splendeur géologique pas unique mais rare. Immense falaise abrupte percée en face nord d’une arche gigantesque où pourrait y rentrer un immeuble de dix étages. La couleur rouge vif des roches ajoute sa note d’exception. Nous avions eu le privilège d’observer pareil phénomène en Norvège et à Capri. Moteurs à plein régime, Bonaventure se profile bientôt, le pilote s’approche des falaises pour notre émerveillement devant, au bas, des phoques qui se prélassent et, agrippés aux failles des roches des milliers d’oiseaux qui nichent ici à la belle saison. A nouveau, guillemots, petits pingouins, macareux moines plus discrets et la vedette des lieux les fous de Bassan par millier tournoient au dessus de nos têtes et plongent hardiment à la recherche de nourriture pour la marmaille qui piaille à flan de falaise. Houle formée, le bateau bouge pas mal les prises de vue photo et vidéo sont assez sportives. J’aurai les baskets trempées pour la journée par un paquet de mer vicieux qui s’invite sans protocole sur le pont du petit navire. Tour d’observation effectué, nous débarquons à un petit quai de bois et partons par un sentier au travers de l’île afin d’approcher au mieux les lieux d’observation de ces oiseaux de mer. Une heure et demie de marche plus tard, plusieurs tables de pic-nic sur un dégagement herbeux accueille les marcheurs. Un naturaliste est présent à heures fixes et enseigne avec passion sont savoir sur cette exceptionnelle colonie de fou de bassan stationné ici. C’est en effet soixante mille couples sans compter les juvéniles qui sont ainsi installés juste là devant nous. Un simple cordage nous sépare de moins d’un mètre de la colonie qui tapisse littéralement le sol à perte de vue sur des centaines de mètres carrés, le flan de la falaise ne pouvant pas accueillir tout le monde. Courants marins et proximité de l’estuaire du St Laurent fournissent des eaux riches en nutriments ainsi, bancs de harengs, capelant, maquereaux abondent et assurent la pitance de tous. Il va sans dire que cela caquette de partout, les derniers potins se commentent, ça roucoule amoureusement, des conflits se règles, la jeunesse s’éclate. Décollages et atterrissages hasardeux déclenchent des concerts de contestations aussi bruyants que vigoureux. Aucun souci vis-à-vis des visiteurs que nous sommes, à chacun de respecter sont territoire de chaque coté du cordage et tout va bien dans le meilleur des mondes ! C’est absolument fabuleux d’approcher à moins d’un mètre ces oiseaux sans artifice aucun et sans les perturber le moins du monde. Passé la pause casse croûte, des baladoirs en bois permettent d’observer la colonie en divers endroits toujours sans déranger ces hôtes. De nombreux nids abritent encore des jeunes poussins duveteux qui n’hésitent pas à rentrer la tête complète dans le gosier de la mère afin de la faire régurgiter le poisson pêché en plein mer. Plusieurs heures passeront ainsi avant de rejoindre par le sentier du tour de l’île le quai d’embarquement.
     



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