Une petite heure de paperasse et Franky va grincer et tempêter durant une paire d’heures de ripio infâme. L’idée, faire étape à Onaisin village à la croisée des deux seules pistes qui traversent la région et ainsi, demain, partir à la découverte d’une des seules compagnies de manchots empereurs vivant hors Antarctique. Il nous faudra trouver « la Baya Inutile » proche de la « Baya désespérance ». C’est juste pour te situer l’ambiance ! A ladite croisée, un refuge vide, fatigué de s’agripper à ce désert hostile balayé par ces foutus cinquantièmes, quelques matelas crasseux, des vieux journaux bourrés entre les planches disjointes où siffle l’air glacial…
… Un camion passe, je demande ma route pour Onaisin…
…c’est ici Onaisin…
… ??? …
…mais, il n’y a pas de maison ?
… non, non, mais c’est ici, c’est juste un arrêt de bus…
…arrête de bus… pour qui ?...
… dix minutes plus tard, le camion suivant…
…ne connait pas !...
…le GPS ?...
…il a encore beaucoup à apprendre sur la Terre de Feu ! …
…au feeling, il faut faire du sud. Ripio infernal, mais bientôt un vieux panonceau confirme la direction d’une réserve naturelle de manchots empereurs. Atteinte vers quinze heures, sans trouver Onaisin. Françoise, persuadée de nos quelques faiblesses de santé est un peu contrariée de devoir dormir ici au milieu de ce désert glacé hostile. Au loin…
…eh…oui, un homme… perché à rafistoler une ligne électrique…
…je m’approche, les chiens aussi…
… l’équipière reste en arrière !...
… Onaisin il ne connait pas trop non plus. Nous sommes à l’entrée d’une estancia qui parait bien endormie. Je demande si on peut rentrer et stationner pour la nuit. Impossible, les patrons sont absents. Nous poursuivrons un peu, des bâtissent se dessinent sur le proche horizon. Une entrée, une allée, quelques vallons, un pont de bois, des chevaux en liberté enfin quelques constructions et du matériel agricole. Peu de vie, je risque un œil furtif par une fenêtre sale. Il y a certainement du monde vu le « bordel » qui accompagne un quignon de pain, un verre moitié plein et quelques os dans ce qui ressemble à une table de cuisine. C’est l’antre d’un gaucho. En arrière, nous rencontrons une femme presque stricte, bottes cuir, jean serré, cheveux bientôt gris en chignon soigné. Le plus poliment possible, nous présentons notre requête, précisant que nous sommes autonomes et repartons demain matin…
…pas gagné, pas l’accueil spontané… faut voir…
…la grande dame presque austère doit téléphoner. Voix vigoureuse, discourt direct, sourire retenu, c’est OK puis elle vaquera à ses occupations. Installés, nous hésitons à revenir pour offrir un porte clé « tour Eiffel ». Elle acceptera, remerciera, toujours retenue, nous nous retirons poliment et la nuit sera paisible, le vallon étant peu exposé au vent.
Nuit paisible dans cette estancia patagonneLe lendemain, retour à l’entrée de la réserve « Pingouïn Rey ».
Attention, pas une âme à des kilomètres juste trois contenaires comme bureau d’accueil.
Nous sommes seuls, mais il a fallu prendre rendez-vous par internet plusieurs jours avant, attendre l’éventuelle acceptation par e-mail tout en étant avisés que les conditions météo peuvent nous retenir ici pour une durée… indéterminée ! J’oubliais… prévoir un paiement cash uniquement…
…bon… ok… t’as compris, ces rares bestioles, ça se mérite.
Porte fermée, une fumée hésitante s’échappe de la cheminée rouillée…
…il y a du monde…
…clôture enfin entr’ouverte, on se présente, on paye (cher), en deux mots, on nous explique, tout en soulignant qu’une majorité de manchots ont migré à cette saison… Après, débrouille toi ! Heureusement, rien de compliqué, quelques balises le long d’un sentier puis plusieurs postes d’observations discrets…
…une belle colonie est encore présente à quelques mètres. Les fameux manchots empereurs se dandinent en arrière de la grève le long d’un petit cours d’eau. L’adrénaline est de mise, observer dans la nature cette espèce hors de l’Antarctique est événement exceptionnel. Leur couleur, leur grandeur, différent bien des manchots de Magellan observés précédemment. Une centaine d’animaux papotent, se refont une beauté et piaillent à volonté. Beaucoup de jeunes au pelage marron ordinaire se font nourrir et coucouner par papa et maman de retour d’une pêche facile, ici, pas de surpêche, les canaux secondaires des archipels de Patagonie chilienne restent vierges. Quelques pas plus avancés, quelques adultes rentrent, le gosier gonflé de poissons et petits calamars avec retard ou font la causette. Sur la grève, plus personne. En effet il en manque. Néanmoins, nous rentrons satisfait de cette énième découverte que nous n’imaginions jamais il y a quelques temps. Au retour, quelques gauchos tentent de diriger plusieurs centaines de moutons vers l’enclos destiné au chargement en bétaillère. Certainement ceux de l’estancia où nous avons dormi.
Les rares manchots empereur hors Antarctique